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Le Transfert Passif - l'expérience d'Eden au Niger |
Ecrit: Novembre 1999 IntroductionL'aide ressemble au commerce ; la seule différence est que dans l'aide le client n'a pas besoin d'être satisfait. Des projets sont souvent conçus de façon à obtenir l'argent des donateurs, mais sans prendre conscience des besoins réels du bénéficiaire. Des rapports sont écrits après quelques années, et, si tout semble être bien en ce moment, le projet est considéré bon même si tout s'écroule juste après son retrait.
La durabilité doit être trouvée auprès de la population locale et sa motivation est notre plus grand atout. Nous devons profiter de leur motivation, offrir un produit qui correspond à leurs besoins, et avoir des mécanismes comme ceux que l'on doit avoir avec des clients. Le bénéficiaire doit montrer de l'initiative, être libre de choisir et être satisfait du produit. Les buts d'un donateur doivent être en harmonie avec les objectifs du projet, qui à leur tour doivent être en concordance avec les buts du bénéficiaire. Pour que ceci puisse marcher, on doit commencer par examiner les buts du bénéficiaire. Le projet EdenContexteLa Fondation Eden fut fondée en 1985 sur l'idée qu'il existait des moyens efficaces pour accomplir les buts de la population des régions sèches de l'Afrique du Nord-Ouest. Ces moyens étaient des plantes comestibles résistantes à la sécheresse qui pouvaient endurer le climat rigoureux indépendamment des soutiens artificiels. Un projet fut conçu basé sur les principaux objectifs que viserait un fermier, avec comme moyens efficaces les plantes. L'objet du projet était d'aider les fermiers à réaliser leurs buts.
C'était considéré important de travailler pour l'autosuffisance alimentaire de ces fermiers; qu'ils utilisent des ressources qui puissent marcher dans leur région sans besoins de « béquilles », et qu'ils ne deviennent pas endettés ou dépendants de ressources extérieures en dépassent leurs moyens. Le projet fut mis en place au Niger, le pays qu'Eden considérait comme le plus nécessiteux de la zone ciblée. Les plantesLes plantes comestibles résistantes à la sécheresse furent sélectionnées comme pouvant répondre aux multiples objectifs des fermiers. Des rapports indiquaient qu'un grand nombre d'espèces résistantes à la sécheresse existaient, mais que beaucoup d'entre elles étaient peu recherchées et sous-exploitées. Les espèces à utiliser devaient être naturelles, donc pas des hybrides ou des « surespèces », mais avec une grande variation génétique pour qu'elles soient résistantes, et les fermiers devaient pouvoir en reproduire des semences eux-mêmes. Une base de données fut conçue pour enregistrer des informations sur toute espèce prometteuse du monde. À partir de cette information furent choisies les espèces à tester pour leur adaptation dans un environnement si sec. En 1991, cette base de données contenait 282 espèces qui étaient rapportées tolérer la sécheresse. Le semis directLa méthode choisie pour établir les plantes était le semis direct, regardé comme le choix naturel pour un environnement si sec. Cela permettait au fermier de ne pas arroser ses plantes et de pouvoir les semer exactement où il les voudrait.La station de rechercheUne station de recherche fut établie en 1988 au Niger à 13 km au sud de Tanout, afin d'essayer le semis direct et pour en même temps éveiller l'intérêt des fermiers des alentours. C'était sur un terrain de 20 hectares pratiquement dépouillé de végétation, dans une zone de 200 mm de pluviométrie.
Le terrain, qui était à l'origine un champ de mil, fut choisi pour illustrer le mieux possible les conditions difficiles des fermiers. Il fut entouré d'un grillage en 1989. Entre 1988 et 1990, 341 expériences de semis direct furent exécutées, avec 360 semences pour chaque expérience. Les principaux facteurs variables étaient des traitements non toxiques des semences et la profondeur de semis. Ni irrigation, ni fertilisants ne furent fournis. Les expériences étaient réparties au hasard. Des semences des espèces les plus prometteuses allaient être distribuées gratuitement aux fermiers intéressés. Les semencesQuelques semences d'espèces exotiques et de certaines espèces locales furent achetées, mais la plus grande partie des semences furent cueillies par Eden. Comme on recherchait la variation génétique, on utilisait plusieurs plantes mères venant de différentes régions. Les semences recevaient des numéros de lot, afin qu'on puisse retrouver leur origine. Des méthodes de décorticage furent développées pour chaque espèce. Les semences susceptibles d'attaques d'insectes furent traitées à l'huile de Neem non toxique. Elles étaient stockées à température normale, pour simuler les possibilités d'emmagasinage des fermiers, et des tests de germination furent effectués pour contrôler leur vitalité. La méthode de semis directUne méthode de semis direct applicable fut développée à l'intention des fermiers. Des enveloppes de semences furent produites, avec des instructions inscrites sous forme de symboles, comme la majorité des fermiers était analphabète. La quantité de semences des enveloppes était calculée afin que chaque enveloppe donne une plante qui atteindra la maturité. Les outils qui seraient recommandés pour la tâche étaient des outils que les fermiers possédaient déjà. La vulgarisationA l'origine, l'intention n'était pas que le projet approche les fermiers, mais de faire en sorte que les fermiers prennent volontiers le contact avec Eden par leurs propres initiatives et curiosités. Les fermiers pouvaient observer la station de recherche agissant envers eux comme la fenêtre d'une boutique. On espérait le premier fermier environ 10 ans après l'ouverture du projet. Si au contraire personne ne se présentait, le projet serait considéré comme un échec et serait fermé. On n'envisageait pas de contacter les fermiers afin de les convaincre. Ils devaient se rendre compte que la solution était bonne pour eux et l'adopter dans leur culture. Cette solution devait être contagieuse de façon que lorsqu'un fermier l'adoptait, il allait à son tour convaincre d'autres à faire de même. Les fermiers allaient pratiquer le semis direct dans leurs champs afin qu'il y ait un responsable pour les plantes. Eden n'approchait jamais un village sans avoir été invité par un fermier. Quand ceci était le cas, on demandait à ce fermier, qui avait vu la station de recherche ou les plantes du semis direct d'un autre fermier, d'approcher les autres gens du village pour savoir s'ils pourraient être intéressés par le semis direct. Lorsqu'un fermier commandait des graines, il était libre de commander n'importe quelle espèce, et ensuite le projet lui expliquait ce qui était disponible. Ceci afin de pouvoir enregistrer les espèces réellement voulues par les fermiers sans prendre de compte ce que le projet pouvait leur offrir. Les fermiers qui avaient adopté le semis direct seraient rendus une visite annuelle tant qu'ils désiraient continuer, en vue d'un contrôle des résultats et un enregistrement de nouvelles commandes de semences. Aucun expatrié n'était engagé dans le travail de vulgarisation avec les fermiers. Des agents locaux furent choisis, sur le principe qu'ils allaient respecter les fermiers avec une attitude serviable. Ils étaient doués, mais pas tellement éduqués et furent entraînés par le projet. Ils allaient visiter les fermiers par les moyens locaux de transport ou à pied, afin de ne pas trop se distancer d'eux. Le logo d'Eden fut utilisé un peu partout pour faire reconnaître la « marque » : sur la plaque à la station de recherches, sur les véhicules, sur les chemises des animateurs et sur les enveloppes de semences. Les fermiers allaient être entraînés par un animateur dans le semis direct, mais c'était à eux de choisir l'emplacement où les systèmes d'espacement (dispersés, formant des haies, etc.) dans leurs champs. L'enregistrement des résultatsDe la recherche dans les champs fut effectuée par un contrôle annuel des résultats de chaque fermier ainsi que d'autres informations pertinentes. Les champs étaient considérés comme la partie extérieure de la station de recherche, et les fermiers recevaient gratuitement des graines comme compensation pour leur participation aux recherches. De cette façon, des taux de survie pouvaient être calculés tenant compte des conditions de la vie quotidienne. Leurs résultats furent mis en corrélation avec les recherches de la station pour ajuster les recommandations données pour la saison à venir.Les fermiersAvant l'arrivée du projet, les fermiers de la région ignoraient le semis direct. Leur culture principale était le mil. Leur région manquait de végétation, et ils ne connaissaient pas de moyens efficaces pour établir de nouvelles plantes vivaces. L'érosion était un grand problème, mais beaucoup l'accueillaient comme un moyen pour obtenir du sable mou là où le sol était dur, afin que le mil pousse mieux. La plupart des fermiers étaient hostiles aux arbres parce que les oiseaux y nichaient et mangeaient leurs récoltes. D'autres n'aimaient pas les buissons comme les serpents pouvaient s'y cacher. Encore, ils ne connaissaient pas les espèces qui s'y adoptaient. La majorité d'entre eux coupaient et brûlaient leurs champs chaque année, ne laissant pratiquement aucune couverture végétative durant des longues parties de la saison sèche, lorsque les vents forts érodaient leurs champs.
RésultatsLes fermiers ne saisirent pas les objectifs du projet à ses débuts. Ils faisaient remarquer que le projet n'en était pas un, faute de camions et d'équipements. Les rumeurs allaient bon train, mais déjà en 1991 le premier fermier demanda des semences. Il fut intéressé par une plante exotique qui poussait à la station, et vérifia qu'on ne l'arrosait pas et qu'elle produisait quelque chose de comestible. Au total, 9 fermiers venant de 2 villages commandèrent des graines cette année-là. Ce qui suscita l'intérêt en la méthode du semis direct était qu'en 1992, Moussa, le fermier situé à l'est de la station de recherches reçut la meilleure récolte dans un rayon de 20 km. La station avait déjà à l'époque beaucoup de végétations venant de la révégétation naturelle ; des plantes qui auparavant avaient été coupées, et qui maintenant avaient repoussé de leurs anciennes racines, ainsi que des plantes annuelles qui n'étaient plus brûlées lors de la saison sèche. Le champ de Moussa fut ainsi protégé contre les vents les plus forts, tandis que le fermier du côté opposé de la station qui n'était pas protégé reçut une faible récolte. Il était forcé de resemer son mil plusieurs fois à cause des vents forts, alors que Moussa ne devait que reprendre la partie de son champ la plus éloignée de la station.
Ayant appris ces nouvelles, les fermiers furent convaincus que la bonne récolte de Moussa était due à la végétation de la station qui protégeait son champ. À partir de ce moment, plusieurs fermiers devinrent amis aux arbres plutôt que leurs ennemis, comme expliqua un fermier. Les premiers fermiers regardaient les plantes comme quelque chose d'exotique et les avaient semées dans leurs jardins ; mais en ce moment ils prirent conscience de l'importance de ces plantes dans les champs pour réduire les grands vents qui abîmaient les plants de mil. Ce devint prioritaire d'avoir des arbres comme brise-vent plutôt que d'empêcher les oiseaux d'y nicher. C'était clair que les avantages des plantes vivaces dépassaient les inconvénients qu'ils y voyaient. Beaucoup s'engagèrent dans le semis direct et convainquirent à leur tour d'autres, qui eux aussi contactèrent le projet. Depuis, le nombre de participants n'a fait qu'augmenter, pour atteindre 1,514 fermiers venant de 96 villages en 1999.
Les résultats de leur semis direct ont aussi
accru chaque année pour atteindre 244,624 plantes en 1998 (ce chiffre
fait référence au semis et jeunes plantes, non aux plantes mûres). Ils
avaient aussi 10,810 plantes vivaces de 32 espèces différentes ayant surgi
de la révégétation naturelle. Ceci était un effet secondaire du semis
direct non attendu, qui surgit lorsque les fermiers cessèrent de couper
les plantes pérennes de leurs champs. La révégétation naturelle vient
surtout de vieilles racines qui ont été coupées chaque année
auparavant, dont la plupart grandissent rapidement comme elles ont un
système suffisamment développé.
Certaines de ces plantes ont commencé à produire de la nourriture, et en 1998 les fermiers en cueillirent 8,680 litres d'aliments et vendirent des récoltes pour un total de 235 FFR. Les femmes et les enfants en sont les plus grands bénéficiaires, comme les hommes en général sont obligés de quitter leurs villages durant la saison sèche pour chercher momentairement du travail. Un autre exemple du changement d'attitude des fermiers est que certains villages ont introduit leur propre code forestier. Ayant découvert le semis direct, ils ont aussi pris l'initiative d'interdire tout abattement d'arbres, se permettant seulement de couper des branches au besoin. Chaque année on enregistre les fermiers non satisfaits du semis direct et seuls 0,3 % de ceux qui ont participé au programme ont exprimé le désir d'arrêter. DiscussionDans le commerce, le client est normalement celui qui paye le produit. Ceci n'est pas valable pour l'aide au développement, où les produits que le projet livre sont commandités par des donateurs, et non par le récipiendaire lui-même. Le projet « vend » ces solutions au bénéficiaire, mais il reçoit l'argent de son parrain - le donateur. Le projet est souvent loyal vis-à-vis de sa source de financement et il a tendance à être plus concerné d'être « payé » pour les produits qu'il livre que pour les besoins réels des bénéficiaires. Comme ces derniers souvent n'aiment pas réellement ce qu'on leur offre, les projets peuvent employer des stimulants pour leur faire accepter les produits. Généralement, ce sont des idées à la mode dans le monde développé mais non appropriés à la situation des récipiendaires. Dans le pire des cas, le produit leur est même imposé. C'est pour cela qu'on opte souvent pour un transfert actif. Cependant, les gens ont toujours eu tendance à intégrer volontiers des nouvelles pratiques dans leur culture selon leur désirs, comme la télévision. Il est important de laisser les gens choisir et de ne pas forcer les choses sur eux de façon néocolonialiste. Le transfert passif est un mécanisme pour tenir compte des intérêts des clients. Les bénéficiaires doivent voir ce que le projet a à offrir pour ensuite opérer un choix. Comme chez un client ordinaire, il faut qu'il y ait un prix afin de pouvoir confirmer si le bénéficiaire veut réellement ce qu'on offre, même quand l'aide est donnée gratuitement. Avec Eden, les fermiers manifestent leur intérêt par leur initiative de contacter le projet. Ils payent un prix en investissant du temps et de l'espace dans leurs champs lorsqu'ils font le semis direct, même si les semences fournies sont gratuites. S'ils ne sont pas satisfaits du produit, ils sont libres d'arrêter, et leur raison est aussitôt enregistrée. Pour que le transfert passif puisse marcher, il faut avoir une solution que le client peut voir et une façon pour lui de te contacter lorsqu'il est convaincu de l'interêt de la chose. Autrement on a qu'à fermer par manque de clientèle, et ainsi c'est le bénéficiaire qui t'évalue. Le donateur et le projet doivent évaluer le degré de satisfaction du client par rapport au produit plutôt que le degré de suivi d'un plan. Le projet doit servir le bénéficiaire, et non le donateur. Il doit être le lien entre eux. Le donateur et le projet doivent servir à l'accomplissement des buts du bénéficiaire de manière efficace. Les contraintes sont que les donateurs ont souvent leurs propres programmes et cherchent à transformer les projets en leurs marionnettes, rendant ainsi difficile la tâche de servir les bénéficiaires même si ces-ci sont intéressés par ce que le projet propose. Le transfert passif est un processus qui demande du temps, alors que les donateurs pensent souvent au court terme. Un projet de longue durée peut se trouver sans donateurs quand les modes changent, et il peut être tenté de changer avec eux plutôt que de continuer à servir les aspirations des bénéficiaires. Il est difficile de présenter un plan en faits et chiffres étant donné que c'est un processus qui échappe au contrôle du projet et dont les donateurs n'en sont pas habitués. Si et quand les donateurs sont engagés, le projet doit toujours développer un produit que les bénéficiaires eux-mêmes voudraient, et qui doit être présenté de façon qu'ils puissent l'intégrer dans leur culture. ConclusionLes fermiers ne sont ni bêtes, ni ignorants et ne doivent pas être traités comme des enfants qui ignorent leurs propres mieux. Ils savent choisir et sont capables d'adopter et d'intégrer une idée dans leur culture lorsque elle est appropriée et abordable. Nous devons les traiter avec égard et favoriser l'accomplissement de leurs desseins ; et eux, ils doivent être libres de choisir quelle solution adopter. L'expérience d'Eden a montré une façon de diffuser une solution sans empiéter sur la dignité des fermiers et leur droit de décider pour eux-mêmes, à savoir le transfert passif. Les résultats ont jusqu'au présent été satisfaisants et beaucoup de fermiers ont adopté la solution du projet suivant cette méthode. Cependant, il est difficile de contrôler la répartition, la pénétration et la durée nécessaires à la diffusion. Si vraiment un tel contrôle devrait être exercé serait le sujet d'une autre discussion... Cet article fut présenté à la conférence intitulée "Combattant la désertification avec les plantes", qui fut tenue à l'université de Ben Gurion à Beer-Sheva, Israël, du 2 au 5 novembre 1999. Elle était organisée par IPALAC, le Programme International pour les Cultures en Zones Arides (International Program for Arid Land Crops). |
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